6 MOIS PLUS TOT

- Dites moi, Constance, pourquoi cette petite fille? me demanda le Docteur Monaghan.
- Elle était toute seule. Tous les autres étaient avec leurs parents mais pas elle. Je voulais l'aider. Je sentis mon souffle se saccader, ma gorge se serrer. Elle était toute seule et c'était la guerre. Elle allait mourir. Je voulais pas lui faire de mal mais on devait partir, vite! Vous ne comprenez pas. Une larme perla sur ma joue droite.
- Mais Mr Jones aussi voulait l'aider. Vous vous souvenez, le marchand de glace. Si tôt qu'elle prononça son nom, mon sang se glaça et une bouffée de panique balaya le peu de calme qui me restait.
- Bien sûr que je m'en souviens! Ne prenez pas cet air accusateur! Je me levais et entamais de faire les cents pas pour mieux contrôler mon angoisse. Il n'allait pas nous aider, je l'ai vu, ils me l'ont dit. Il s'est baissé pour attraper le fusil caché dans son camion. Je devais faire quelque chose! Il allait nous tirer dessus ... Je m'emportais.... Il fallait protéger la petite. Je voulais pas le tuer, mais j'avais pas le choix.
- Cette petite fille, vous rappelait-elle quelqu'un?
- Non, je ne crois pas.
- Pas même vous, quand vous etiez enfant? Vous et vos parents ... Je soupirais et fermais les yeux un instant.
- Non, et je ne veux pas parler de ça. Ca n'a aucun rapport. soufflais-je avec agacement.
- Je pense que si Constance. Cette enfant, vous l'avez vue seule et en danger. Tout comme vous vous sentiez après que (...) Je ne lui laissais pas le temps de finir, je craquais avant.
- Je ne l'ai pas juste imaginée comme ça! C'était vrai! Vous ne comprenez rien, vous êtes tous pareils. J'ai sauvé la fillette.
- Elle n'était pas en danger. C'est votre imagination qui vous a joué un tour. Vous n'avez pas fais le deuil de votre passé, et ça vous tourmente encore. Si vous n'acceptez pas les choses, vous n'irez jamais mieux Constance. Vous avez besoin de parler de tout ça. Vous ne pouvez plus le supporter seule, c'est pour cette raison que votre vision de la réalité s’effrite.
On m'avait déjà servi tout ça un millier de fois, mais rien de s'était jamais arrangé. Je n'allais pas mieux et ils ne comprenaient toujours rien. Il était hors de question que je parle une nouvelle fois de ma famille, j'avais déjà bien assez donné et, surtout, je n'avais plus rien à perdre.
- Je n'ai rien à dire de plus. soufflais-je en ravalant les quelques larmes qui persistaient au coins de mes yeux.

3 ANS PLUS TOT

- Tu as prévu quoi pour Noël?
- Rien. J'ai deux articles à retravailler et un avion à prendre le 25. Même si j'avais voulu faire quelque chose, j'aurais pas eu le temps. Je faisais exprès d'éviter le regard de Talie, ma collègue, redoutant déjà la réponse qu'elle allait me donner.
- Oh. Tu ne vas même pas dîner avec tes parents? Ce serait une chouette occasion de renouer.
- Lâche moi avec ça. Pestais-je glacialement.
- Enfin ... je, je dis ça pour toi Connie. Tu t'enterres sous le travail, tu te laisses le temps de ne penser à rien d'autre mais je vois bien que ça ne va pas. Je voudrais t'aider. Répliqua-t-elle avec bienveillance.
- J'ai n'ai besoin ni d'aide ni d'eux. Je vais très bien sans famille. Affirmais-je en m'éforcant de ne pas reperdre patience.
- C'est toi qui vois. Mais fais attention à toi. Un jour, t'as une durite qui va sauter à force de te surmener comme ça.
- Oui, oui. Lachais-je, lassée, avant de quitter le bureau.

11 ANS PLUS TOT

- Alors dis moi, comment ça c'est passé cette semaine? Demanda gentillement le Dr Stevens à la gamine que j'étais.
- Je sais pas. Avant ils criaient au moins, maintenant ils disent plus rien... Et j'aime pas ça. Je posais un œil inquiet sur la femme élégante mais elle ne dit rien, m'incitant à continuer. Y a plus de bruit. La maison est tout le temps calme. Même à moi ils veulent plus me parler... Je crois qu'ils aimeraient mieux que je sois partie aussi. Maintenant qu'y à plus Adrian, ils me veulent plus de notre famille non plus. Mes lèvres se pincèrent avec maladresse, la tristesse accrochée au visage.
- Tu sais, tes parents sont tous les deux très tristes, ça ne veut pas dire qu'ils ne t'aiment plus. Ils essaient de trouver un moyen de surmonter l'accident d'Adrian.
- Ils dorment plus dans la même chambre. Des fois, le soir, j'entends maman qui pleure dans la cuisine. Et le reste du temps, elle fait comme si j'étais pas là... Papa, lui, il est jamais à la maison. J'aurais voulu qu'Adrian soit encore là, tout ça ne serait pas arrivé.... Je baissais les yeux.
- C'est malheureux, mais ce sont des choses qu'on ne contrôle pas. Ton frère nous a quitté, mais la vie continuera. C'est un moment difficile et, malgré tout, ca finira par aller mieux. Tu as quatorze ans, tu as la vie devant toi.
Je restais silencieuse un instant, essayant de croire ce qu'elle me disait, cherchant une raison de m'y accrocher mais ce fut impossible. Au fond, je sentais que c'était le début de la fin. Quelque chose s'était brisé à jamais. Je n'avais pas perdu mon frère, mais ma famille entière.
- Ce qui est important pour l'instant, c'est de ne pas te renfermer. Tu n'es pas seule. Des gens sont là pour toi.
- Mais je suis fatiguée d'écouter les mêmes choses. Je soupirais De parler de mon frère. De ce que je ressens. Ça n'a pas d'importance, de toute façon rien ne changera. Je pourrai m'assoir ici toute une vie, il ne reviendra pas et mes parents ne redeviendront pas comme avant. Je repliais mes jambes contre moi, posais ma tête sur mes genoux et m'enfermait dans un mutisme sans faille. J'étais lasse de me répéter, de parler de toutes ces choses qui me faisaient un mal de chien. Je voulais juste que tout s'arrête.