* Toc Toc *
« C'est occupé... »
« Euhm... vous plaisantez ? »
« J'en ai l'air ? »
Je baisse légèrement mon journal de sorte à dévisager l'homme qui venait de pénétrer dans mon nouveau bureau, tout juste aménagé, contre mon gré. Je descend les pieds de mon bureau tout en tirant longuement sur ma cigarette et fais face à l'homme. Son visage m'est étrangement familier, mais je n'y prête pas plus d'attention. Un étrange sourire arbora soudainement ses lèvres, prenant place sur une des chaises face à mon bureau.
« Que puis-je pour vous... ? »
Je prend un air détaché, semblant bien plus m'intéresser aux nouvelles du jour qu'à mon interlocuteur.
« Dites-moi monsieur Williams, êtes-vous aussi talentueux qu'on le dit ? »
Je ferme brusquement mon journal tout en le mettant de côté puis me concentre sur l'homme, qui semble étrangement bien me connaître à sa manière de s'adresser à moi. En un instant, mes yeux le parcours de la tête aux pieds, scrutant le moindre détail. Serait-ce un défi ? Un test ? Un rival ?
« Vous êtes un bourreau du travail, vous venez de rentrer d'un petit voyage en Afrique du Nord et après votre retour je pense que vous avez fais une mauvaise chute causée par... les erreurs d'un maçon nul. »
« Vous êtes impressionnant. Pouvez-vous me dire comment vous faites ? »
« La logique... Votre nez écorché me fais penser que vous avez dû faire une chute d'une hauteur approximative d'un ou deux mètres, j'ai remarqué un peu de plâtre sur la pointe de votre chaussure j'en ai déduis le maçon négligeant, votre Cartier toute neuve n'est qu'une vilaine imitation comme on en trouve en Afrique du Nord dans tous les souks... »
« Hum... vous n'avez pas changé, vous m'envoyez ravi. »
Mon sourcil droit se soulève et une petite lueur de surprise traverse mon regard ténébreux. L'homme ne semble pas surpris, au contraire.
« Vous ne me reconnaissez toujours pas ? »
« Vous n'êtes pas là pour une enquête. »
« J'ai donc tant vieillit ? Au point d'être méconnaissable ? »
« Cessons de tourner autour du pot voulez-vous ? »
« Dr Wigishoff... ça ne vous rappelles toujours rien ? »
Alors que je m'apprêtais à reprendre la parole, ma bouche se referma lentement et mon regard resta figé sur l'homme. Mes souvenirs revinrent en trombe dans ma tête, et mon corps fut lors d'un instant comme pétrifié. Si j'avais su qu'aujourd'hui je retomberai nez à nez avec mon ancien psychiatre, je serais bien resté caché dans mon lit. Comme bien souvent et surtout face à lui, je tente de ne rien laisser paraître. D'un ton quelque peu sarcastique, je reprend le fil de la discussion.
« Ne me dites pas que vous soupçonnez que votre femme vous trompe ?? Ou pire encore...-damned- vous ne voulez tout de même pas que je vous embauche comme secrétaire ?? »
Lui non plus n'avait pas changé, il me connaissait bien trop. Son sourire s'agrandit et a le don de m'exaspérer, de me faire perdre mon sang froid. Ses yeux ne quittent pas les miens, il lit en moi. Plus sérieusement :
« Je ne me rappelle pas avoir fais appelle à vous doc'... »
« Je voulais simplement m'assurer que tout allait bien. »
J'écrase ma cigarette dans le cendrier tout en levant les yeux au ciel. Je crois rêver, songe-t-il à me psychanalyser dans mon propre bureau ?
« Pitié, je ne suis plus un enfant... je n'ai jamais eu besoin de babysitteur. »
« Vous savez très bien où je veux en venir, Esteban. »
Envie de faire l'autruche. Évidemment que je le sais et dans le fond je le comprend. Il est vrai que j'ai toujours eu tendance à refouler les mauvais souvenirs du passé. Tel que le fait que j’eus un père alcoolique, qui a finit par assassiner ma mère avant de se tirer une balle dans le crâne alors que je n'avais que 6 ans. Pour la simple et bonne raison que ma mère avait un amant... Bref le passé c'est du passé.
« Eh bien comme vous pouvez le constater, cela ne m'a pas empêché d'arriver où j'en suis aujourd'hui... »
« En effet... mais pourquoi avez-vous décidé de quitter la police ? »
« Pourquoi cet interrogatoire ? Vous faites une enquête sur ma personne ? »
« Disons cela... »
Je lève les yeux aux ciel et un léger soupire s'échappe d'entre mes lèvres. Nos regards se défient. Pour moi, la raison de ce changement est simple. Je préfère travailler seul, à ma façon, dans le calme et la tranquillité. Alors que pour lui, ma solitude est une blessure du passé. Ou il a certainement entendu parler de la toute dernière enquête sur laquelle on m'a forcé à travailler et que je n'ai jamais accepté. Peut-être a t-il raison, dans tous les cas ça ne change pas grand chose. Soudain, un sourire commercial et digne d'un grand comédien s'étend sur mon visage.
« Voyez-vous... ici, j'ai l'impression d'être plus proche des gens. J'ai même l'impression que les enquêtes sont bien plus intéressantes... »
« Je vois... »
« D'ailleurs, si ça ne vous déranges pas, des clients doivent attendre... »
Je me lève tout en faisant signe poliment à ce cher psychiatre d'en faire de même puis lui tend ma main droite, sans lâcher ce grand sourire niais qui orne si bien mes lèvres.
« Bien. Mais sachez que s'il le faut, vous savez où me trouver... »
« Pour sur cher docteur... et merci de votre visite. »
Sa main sert la mienne, son regard ne me lâche pas jusqu'à ce que la porte se referme derrière lui. Malgré toute cette petite mascarade, sa visite ne me laissa pas de marbre... Là-dessus, j'ai bien peur d'avouer qu'il avait raison de dire que tout ce que notre inconscient refoule finit toujours par refaire surface un jour ou l'autre.