« Quand est-ce que tu reviens, Papa ? »
« Très vite, ma chérie, c’est promis. »

L’agitation sur le quai était palpable. Personne ne faisait attention à une petite fille qui se tenait près d’un homme grand, brun, et qui s’agrippait obstinément à ses jambes. Elle en avait même délaissée la boîte de chocolats que son père lui avait offerts en cadeau d’adieu. Les larmes coulaient sur les joues de la petite fille qui semblait espérait jusqu’au dernier moment qu’il ne parte pas. Peine perdue. L’homme lui adressa un sourire triste et continua de l’assurer qu’il rentrerait vite. Les passants marchaient d’un pas pressé autour de la petite fille, âgée d’environ cinq ans. Elle voyait dans ses yeux embués de larmes la haute figure paternelle se diriger vers sa mère et l’étreindre tendrement, déposant un baiser sur ses cheveux. Pourquoi devait-il partir ?! C’était injuste !! Elle avait des amies qui avaient leur papa avec elles ! Elle ne le lâcha pas du regard tandis qu’il s’éloignait en leur adressant un signe de main. La petite prit la main de sa mère, tentant d’endiguer les larmes qui coulaient à flot. L’énorme navire, un paquebot, sembla engloutir son père, définitivement caché à son regard. Elle éclata en larmes, fourrant le visage pathétique dans les jupes de sa maman. La mine boudeuse, la petite attrapa finalement un caillou par terre et le lança rageusement en direction de l’énorme navire.

« Je déteste les bateaux !!!! Je les déteste, je les déteste, je les déteste !!!!

Elle l’ignorait, mais c’était la dernière fois qu’elle voyait son père, marin mort en mer.

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La jeune femme qui abordait l’aéroport de New York aujourd’hui n’avait plus grand-chose de commun avec la petite fille pleurant son père sur le quai. Rose était devenue une jeune femme d’une beauté accomplie, intelligente et brillante. Elle avait vécue une enfance heureuse, malgré le traumatisme de la perte de son père. Aujourd’hui encore, elle avait une peur panique des navires et de l’eau. Elle avait, à part cela, vécu avec sa mère, fille unique, une vie épanouie. Elle avait eu de nombreux amis durant sa scolarité, avait été une enfant pleine de vie, heureuse d’apprendre et travaillant bien à l’école. Rose était entrée à l’Université de Médecine de Paris, passionnée de psychologie, elle voulait à tout prix devenir psychiatre. Elle avait enduré les six années de médecin générale comme un plaisir, pourtant c’était loin d’être de tout repos, le soin aux patients, voir des choses parfois horribles, côtoyer la mort. Mais apaiser l’être humain était une passion pour elle. A la fin de ces six années, elle décrocha son diplôme et se spécialisa en psychiatrie. Elle découvrit un nouveau continent, celui de la conscience humaine et des troubles mentaux. Freud, Jung, des noms brillants résonnaient dans sa tête. Elle étudiait les cas qu’on lui présentait avec beaucoup de douceur, de compréhension. Ayant obtenu sa spécialité, elle était alors âgée de 25 ans. Elle décida alors de tenter sa chance à l’étranger. Et plus particulièrement, aux Etats-Unis. Le rêve américain !

Ainsi donc, elle se trouvait à New York, avec sa petite valise et le nom d’un hôtel pas très cher. Elle avait juste passé une nuit à l’hôtel et avait rendez-vous le lendemain pour un emploi à l’hôpital. Elle s’était bien habillée pour l’occasion. Se hâtant d’arriver, elle avait sauté dans un taxi et lui avait donné l’adresse de l’hôpital. Il l’avait déposé devant l’immense bâtisse. Elle avait ses documents à la main, était assez chargée et se dépêchait de trouver la salle d’entretien. Aussi, lorsqu’elle tourna dans un couloir, elle n’eut guère le temps d’éviter quelqu’un qui, manifestement, ne faisait absolument pas attention où il allait. Elle le percuta de plein fouet. Catastrophée, elle s’accroupit pour ramasser ses précieux documents.

« Vous ne pouvez pas faire attention, non ?! »

L’homme s’accroupit à côté d’elle, l’aidant à ramasser ses affaires éparpillées.

« Je suis navré, mademoiselle ! Je vais devoir vous inviter au restaurant pour me faire pardonner. Christian Streep. »

Elle lui jeta un coup d’œil. Un regard azur, des cheveux d’or et un sourire ravageur. Elle marmonna une réponse vague. Elle ignorait encore qu’il venait de voler son cœur…

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« Rose Marine Dubois, souhaites-tu prendre pour époux Christian John Streep ? »
« Oui, je le veux. »

Dans sa robe blanche, elle était radieuse. Cela faisait quelques temps qu’elle avait entamé une relation avec Christian et ils filaient le parfait amour. Le mariage avait été le paroxysme de leur relation. Toute la famille était là, les amis. Leur amour éclatait au grand jour et Rose en était ravie. Elle allait vivre les plus belles années de sa vie… Jusqu’au drame…

« Tu ne m’écoutes jamais de toute façon !!!! Tu crois que je suis heureuse comme ça ??? »
« Tu n’es jamais contente !! Quoi que je dise, j’ai toujours tort !!! »

La voiture dans laquelle ils étaient roulait à tombeau ouvert. Rose était assise sur la place passager avant et Christian était au volant. Elle avait la main posée sur son ventre rond et semblait à bout de nerfs. Une violente dispute avait éclaté entre les deux époux, pour ils ne savaient quelle raison. La voiture roulait vite… Bien trop vite… Christian donnait des coups d’accélérateur brutaux et prenait les virages bien trop rapidement. Rose n’était pas rassurée du tout mais elle continuait de crier et de répondre à son mari. Quand soudain… Une voiture en plein milieu de la route. Christian tente de freiner… Trop tard. Il arrive beaucoup trop vite. Le choc est brutal, violent. Rose sent son corps se contracter violemment sous le choc tandis que la ceinture de sécurité lui broie le sternum. Une violente douleur lui lacère le ventre et un cri lui échappe tandis qu’elle sombre dans l’inconscience…

« Ca va aller, vous êtes à l’hôpital… Ne vous inquiétez pas… »

Rose ouvre les yeux, le flou artistique régnant autour d’elle. Elle arrive péniblement à faire la mise au point. Un médecin se trouve face à elle, le visage plein de compassion. Il lui tient la main. Elle parvient à bredouiller :

« Chri…Christian ? »
« Il va bien, ne vous en faites pas, il est tiré d’affaire.»

Rose hoche la tête, semblant rassurée. Mais le médecin a un air contrit, comme s’il lui cachait quelque chose. Elle pose spontanément ses mains sur son ventre…. Plat ! Hagard, le regard perdu, elle balbutie, le cœur battant :

« Mon… Mon bébé !! Où est-il ???

Le médecin baisse la tête et répond doucement.

« Je… Je suis vraiment désolé, Rose. Il n’a pas survécu… »

Une peine gigantesque, indescriptible envahit le cœur de la jeune femme. Les larmes affluent brutalement à ses yeux et un hurlement de douleur, déchirant, s’échappe de ses lèvres. Un cri qui résonne dans l’hôpital.

Pourquoi !!!!!! Nooooooon…

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Cela avait été de pire en pire. Les jours anciens étaient bel et bien terminés. Rose avait été soignée et était restée en observation de nombreuses journées. Une fois remise, elle était sortie pour apprendre que Christian avait craqué. Il avait perdu la raison, avait sombré dans une dépression et ne souhaitait plus la revoir. En fait, il avait même demandé le divorce. Le cœur brisé, elle assuma cette épreuve avec courage. Ses réflexes de psychiatre, sans doute. Christian était malade, il devait être soigné. Elle l’aimait toujours. Apprenant qu’il avait été interné sur Shutter Island, elle brava sa phobie des navires et partit le rejoindre, prenant un poste dans l’hôpital psychiatrique. Elle parviendrait à le soigner… Il le fallait.