20 juin 1995
La sonnerie du téléphone résonna dans la modeste maison des Johnson. Henry se dirigea prestement vers le salon, contourna la télévision, et le décrocha.
« Allo ? » Il haussa un sourcil.
« Oui, c'est bien moi et Elizabeth Johnson est bien ma femme. » Ses yeux s'écarquillèrent lentement tout en s'embrumant de lourdes larmes. Il appuya sa main libre contre le mur pour ne pas sombrer, pour essayer de rester fort après ce qu'on venait de lui annoncer. Il avala sa salive, souhaitant par la même occasion ravaler ses larmes.
« Vous... Vous êtes sûr ? » Ce n'était pas possible. Les derniers mots qui lui parvinrent furent les plus déchirants.
« Oui, je suis désolé » Il lâcha alors le combiné qui alla se cogner dans un bruit sourd contre le mur. Le silence était pesant. Henry s'accroupit lentement au sol en se tenant le visage entre les mains. Il s’affaissa ensuite sur le carrelage dont la froideur lui donna de multiples vagues de frissons.
Voilà maintenant plus d'une heure qu'il était ainsi. Tremblant, pétrifié, étalé sur le sol comme un simple et maigre pantin. Il devait se relever. Il fallait qu'il aille leur dire. Il se traîna jusqu'au mur pour avoir un appui sûr et se releva. Sa tête se mit à tourner mais il marcha d'un pas rapide vers les escaliers qu'il monta difficilement. Il se dirigea vers la chambre de ses filles et se posta devant leur porte. Il les entendit rire aux éclats et interrompit sa main sur la poignée cuivrée.
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Elle remuait son jouet avec énergie tout en souriant à sa sœur.
« Elle attend quoi ta poupée pour venir voir la mienne ! » « Mais attends un peu, il faut qu'elle se prépare avant » « Mais elle est trop longue à se préparer, ma poupée dira rien si la tienne est moche quand elle vient boire le thé, donne la moi ! » Lily attrapa la poupée d’Élisa et la posa dans l'habitat de la sienne. Elles se mirent à rire quand la poupée tomba au sol.
« Bravo Lily-Rose, maintenant elle est morte d'une crise cardiaque » Elles se remirent à rire en se regardant d'un regard complice.
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Il plissa ses yeux emplis de larmes chaudes. Pressant la poignée, il vit rapidement les sourires enjoués de ses enfants. Elles se retournèrent vers lui et s'étonnèrent de le voir dans cet état.
« Qu'est-ce qu'il se passe papa ? » Lily-Rose s'était levé tout en prononçant cette question d'une voix tremblante. Son père s'accroupit et lui tendit ses bras. Elle s'y engouffra sans avoir encore compris ce que se passer réellement.
« Viens June, viens » Sa requête n'avait été qu'un murmure. La fillette se leva, les larmes aux yeux, et marcha lentement vers son père qui l'attira brutalement à lui lorsqu'elle fut assez près. Tous trois furent secoués des innombrables sanglots du père de famille. Il caressait délicatement leurs cheveux tout en leur expliquant la situation. Tout en leur expliquant comment ils allaient traversés cette épreuve. Comment ils allaient traversé la mort de sa femme, de leur mère.
24 septembre 2006 La jeune femme sortit de sa chambre et toqua à la porte de celle de sa sœur.
« Rose ! Sors de ta chambre ! C'est l'heure ! » « J'arrive Élisa, j'arrive ! » La porte s'ouvrit et la fameuse Lily-Rose offrit un sourire calme à sa sœur. Plus les années avaient passées, plus leurs caractères avaient changés. Lily-Rose était devenue la plus calme des deux tandis que June-Élisa était celle ayant le plus de joie de vivre. Un peu trop même, selon sa sœur. Élisa lui sourit à son tour et l'entraîna dans les escaliers. Elles croisèrent leur père dans le salon.
« Où est-ce que vous allez comme ça ? » « A notre rendez-vous papa, tu sais... » « On a pas le temps de papoter cher papa, il faut vraiment qu'on y aille ! » Élisa s'approcha du fauteuil où se trouvait son paternel et l'embrassa tendrement mais rapidement sur le front. Puis elle tira sa sœur jusqu'à la porte d'entrée, mais cette dernière se retint à l'embrasure en bois.
« On revient dans moins d'une heure » « Vous auriez quand même pu rester avec moi le jour de votre anniversaire, surtout pour vos 18... » Elle ne put en entendre plus : Élisa l'avait déjà conduite jusqu'au garage où se trouvaient leurs vélos.
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« Au revoir et encore merci ! » « Tu peux pas t'en empêcher, c'est pas possible ! » « Déjà que je suis malade d'en faire la surprise à papa, ne m'embête pas lorsque je souhaite être polie avec autrui ! » Elles échangèrent un regard complice puis éclatèrent de rire, comme souvent dans leur enfance. Élisa vit soudain sa sœur regarder le sol sombrement.
« Rose ? » Cette dernière releva la tête.
« Comment crois-tu que papa va réagir ? » Élisa eut un sourire sérieux. Elles étaient jumelles et pourtant elles n'avaient pas vraiment la même relation avec leur père. Elle savait que Rose avait lié une relation beaucoup plus fondé avec son père qu'elle et que la peur de le décevoir était presque omniprésente. Mais cela ne la dérangeait en rien.
« Il va très bien réagir. Ce n'est pas comme si on s'était fait tatouées une tête de mort dans le cou. Ce ne sont que de simples papillons. » Elle lui fit un clin d'œil et attrapa son vélo.
« Allons lui montrer ça, si tu veux bien » « Arrête de parler comme ça, on va nous confondre après » Elles se remirent à rire une nouvelle fois et regagnèrent leur habitat.
22 avril 2007 Élisa reconnut la voix de sa sœur. Mais ce n'était pas des paroles sereines et ordonnées comme à son habitude. C'était un cri, un cri strident qui avait atteint l'autre bout du couloir blanc. Élisa posa prestement le café qu'elle tenait entre ses mains légèrement tremblante. Elle courut jusqu'à la chambre d'où provenait l'appel à l'aide, devancée par le personnel hospitalier. Elle chercha sa sœur du regard.
« Mademoiselle, lâchez-le, sinon nous ne pourrons pas l'aider ! » Rose avait collé la main de son père contre sa joue et la tenait fermement. Élisa sortit de sa torpeur et s'approcha à son tour de sa sœur. Elle desserra tant bien que mal son emprise et la fit reculer jusqu'au mur.
« Rose, Rose calme toi ! » « Lâche moi, lâche moi ! » Élisa fut projetée brutalement au sol. Une larme coula sur sa joue, sa tête lui faisait atrocement mal. Elle vit Lily-Rose s'accroupir à côté d'elle.
« Je suis désolée Élisa, je suis désolée » Elle l'aida à se relever et Élisa s'accroupit alors que sa sœur éclatait en sanglot. Elle l'attira à elle et pressa sa tête contre sa poitrine tout en lui caressant les cheveux.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » « Son... Son cœur s'est arrêté... Je... » Un spasme beaucoup plus important la secoua.
« Je lui chantais une de ses chansons préférés et son cœur s'est arrêté » Élisa sentit l'émotion la gagner et tenta de garder le contrôle sur la situation. Elle releva la tête et vit alors un membre du service attendre sur le seuil de la chambre. Cette personne secoua négativement la tête. Élisa crut que tout s'arrêtait autour d'elle. Combien de temps s'était-il écoulé entre le moment où il avait été amené ailleurs et l'instant présent ? Seulement quelques secondes, quelques minutes au maximum.
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Des crises cardiaques répétées. Cela aurait bien dû leur mettre la puce à l'oreille. Cela aurait dû les faire réagir. Il y avait bien quelque chose qui n'allait pas et personne n'avait réagit. Leur père était à présent mort d'un ultime arrêt cardiaque.
June-Élisa aida Lily-Rose à surmonter cette épreuve. Du moins c'est ce qu'elle crut durant un moment. Jusqu'à ce qu'elle se rende compte que sa sœur, sa jumelle, sa moitié était tombée dans une dépression. Pas des plus légères, malheureusement. Sanglots, crises de colère, cris, renfermements. Élisa ne supporta pas longtemps de voir Rose dans cet état-là. C'est après quelques recherches qu'elle trouva un endroit tranquille où peut-être Lily-Rose se sentirait en paix.
Du haut de leur dix-neuf ans, elles déménagèrent près de Boston. Coin tranquille, en apparence. Là-bas, les choses ne s'arrangèrent pas pour Rose et cela poussa Élisa à prendre une décision qu'elle considéra cruelle sur le moment : placer Lily-Rose à Shutter Island, petite île où elle pourrait .
25 octobre 2008 Le couloir était d'un blanc flamboyant. Il semblait il y avoir du silence, pourtant on pouvait entendre des chuchotements et des cris. Les pas de la jeune femme faisaient presque trembler les murs par le bruit qu'ils produisaient. Elle avait la tête baissée et essayait de respirer le plus profondément et surtout posément possible. Elle tentait par tous les moyens de ne pas trembler. Au moment où elle passa devant une vitre donnant sur une cour remplit de patient, sa curiosité l'emporta et elle regarda. Elle croisa le regard d'un jeune homme qui lui sourit. Elle se stoppa quelques secondes puis continua son chemin en secouant la tête. Elle venait pourtant souvent ici, pourquoi était-elle ainsi aujourd'hui ? Peut-être était-ce parce qu'aujourd'hui elle ne venait pas en temps que conteuse mais en temps que visiteuse. Elle rendait visite à sa sœur. C'était la première fois qu'elle avait enfin le droit de la voir, après quatre mois de rupture totale. Le personnel qu'elle côtoyait lors de ses heures de travail lui avait répété mainte fois qu'elle devait attendre : pour le bien de sa sœur, d'après eux.
Elle arriva près d'une porte grise qu'elle ouvrit. Elle savait où allait et quoi faire, elle avait repéré en quelques sortes les lieux en passant à plusieurs reprises par ces couloirs. La salle devant laquelle elle se trouva était lumineuse, bien trop lumineuse. La blancheur des murs lui brûla presque les yeux. Elle s'avança alors à l'intérieur. Elle aperçut instinctivement la chevelure de sa sœur, contrastant avec l'environnement. Cette dernière releva la tête. Les larmes coulaient lourdement sur ses joues. Elle se leva et courut vers Élisa. Elle l'encercla de ses bras et fondit dans un sanglot. Sa jumelle lui caressa longuement les cheveux, jusqu'à ce qu'elle se calme.
Élisa la dirigea vers la table au centre de la table et la fit asseoir sur la chaise où elle se trouvait plus tôt. Elle s'assit face à elle.
« Je... Rose, comment vas-tu ? » Elle attrapa sa maigre main et la pressa doucement. Elle la fixa, attendant patiemment une réponse, qu'elle soit longue à arriver ou non. Lily-Rose fixait leurs mains jointes sur la table métallique. Elle releva la tête vers sa sœur et lui sourit.
« Je vais bien, même très bien. » D'un sourire faux. Son visage se crispa et les larmes qui avaient cessés de couler reprirent de plus belle. Elle gémissait comme une enfant, comme si elle n'avait jamais grandi. Élisa sentit elle aussi les larmes lui monter aux yeux.
« Sors moi de là, June. Sors moi de là, je t'en prie » Elle la suppliait en l'appelant June. Seulement June. Pas June-Élisa ou Élisa comme à son habitude : seulement June, comme seul son père avait droit de la nommer. Lily serra la main de sa sœur jusqu'à ce que ses ongles laissent une marque sur la peau de son poignée. Élisa le retira vivement en le frottant.
« Rose ! » Elle entendit la porte s'ouvrir derrière elle. Elle se retourna toujours en tentant d'apaiser sa peau endolorie.
« La visite est terminée, vous devez quitter la pièce. Mademoiselle Lily-Rose, veuillez me suivre » L'homme habillait de blanc de haut en bas s'approcha de Rose et l'aida à se lever. Cette dernière avait refusé au début puis s'était laissé faire. Mais arrivée vers la porte elle voulut retourner vers sa sœur. Elle se tourna vers elle et se mit à courir mais l'homme la maintint avec lui.
« Laissez moi lui dire au revoir ! Laissez moi ! » Élisa éclata en pleurs. Elle n'avait jamais vu sa sœur dans cet état, même lors de ses crises à la maison.
« Calmez vous ! » La jeune femme tenta une nouvelle fois de se dégager.
« Calmez vous sur le champ ou les visites de votre sœur vous seront interdites ! » Lily-Rose se stoppa, fixant sa sœur d'un regard vide.
« Je me suis calmée. » Elle fit une pause.
« Tu reviendras June, n'est-ce pas, tu reviendras ? » Élisa se leva.
« Bien sûr Rose » « Au revoir June » La jeune femme se retourna vers l'homme derrière elle et baissa la tête. Ils passèrent la porte, sous le regard meurtrit d'Élisa.
La mélodie de la sonnette résonna dans le hall d'entrée. Élisa se leva de sa chaise, enregistra son journal et ferma la page. Elle quitta le salon pour détacher les quelques loquets que la porte comptait. Puis elle l'ouvrit.
Un jeune homme d'une tête plus haut qu'elle se trouvait sous le porche. Élisa fronça un sourcil. Elle connaissait son visage, elle l'avait déjà vu.
Élisa se surprit à sourire. Était-il le jeune homme dont Rose lui avait parlé ? Elle lui tendit une main qu'il serra presque de suite.
La jeune femme sourit de plus belle.
Le jeune homme avança timidement, une valise semblant lourde à la main.
Il sembla surprit de l'initiative de la jeune femme et acquiesça.
Elle lui fit un clin d'œil et se dirigea vers la cuisine. Elle ouvrit le frigo et fit une grimace. Elle se retourna vers le jeune homme avec une boîte à la main.
Elle sourit de toute ses dents ce qui fit rire le jeune homme.
Élisa soupira en songeant que sa sœur se trouvait là-bas alors qu'elle accueillait un de ses anciens camarades.
Adriano détourna la tête des photos de famille qu'il était en train de regarder. «
Le jeune homme sourit à cette remarque.
Élisa se mit à réfléchir. Elle n'allait pas le mettre dans la chambre de Rose, elle ne le pouvait pas. Il lui restait la chambre d'ami.
Elle retira une mèche de cheveux de son visage.
Plusieurs semaines passèrent à la suite de l'arrivée d'Adriano. La nouvelle avait fait plaisir à Rose lorsque Élisa lui avait annoncé, accompagnée du jeune homme. Élisa apprécie beaucoup le jeune Di Francesco. Un peu trop peut-être. Elle l'aide autant qu'elle peut dans sa recherche d'emploi même s'il a beaucoup de mal à reprendre pour le moment une vie normale.